mercredi 23 mai 2007

La foire en 1946...



« Entre Mont-de-Fosse et Saint-Jacques, trois maisons seulement, celle du curé et de l’instituteur comprises…

Rien d’extraordinaire dans ce coin isolé, sinon la foire dite de Saint-Jacques, célébrée dans le pays, et qui, chaque année, mobilise, le 25 juillet, l’Ardenne entière, d’Aywaille à La Roche, de Stavelot à Houffalize.

Malgré les guerres, les révolutions, les bouleversements politiques, elle a vaillamment subi l’épreuve des siècles.

La foire a joué un rôle important au Moyen Âge. Un poteau élevé au bord de la sapinière qui barre l’emplacement où se circonscrit le pittoresque marché, nous le rappelle dans une inscription curieuse. Sous le règne des Princes-Abbés de Stavelot, ces derniers avaient le privilège de libérer un criminel sur cette place, le jour de la foire.

La cérémonie populaire, car c’est un événement pour tout le pays, se déroule dans une vaste prairie s’allongeant à proximité du hameau de Bergeval. Quel joli nom ! Sur toute son étendue, des centaines et des centaines de têtes de bétail, de chevaux, de volailles, de porcs. A côté de cette richesse vivante, des attelages de toute nature, depuis la vieille brouette et le char ancestral, jusqu’aux autos à conduite intérieure, orgueil des paysans cossus.






Puis, des échoppes et des échoppes, en plein vent, avec des bouteilles pansues aux reflets d’or et des victuailles aussi tentatrices que variées : cramiques, petits pains fourrés, frites rissolant dans une marmite inépuisable, tardes au riz comme des roues de charrettes, sucre d’orge, gaufres, bières mousseuses, pâtisseries à faire « gletter » les plus gourmets, une avalanche de nougats débités par un Carabouya aussi élégant que volubile… « Mesdames, Messieurs, moi Carabouilla, nougat, nougat, bon caractère, jamais marié, jamais belle-mère, jamais dispute dans la maison ».

A côté, des besoins des ménages et des fermes : tabliers pour femmes et enfants, fausse bijouterie, écharpe de soie, trappes à souris, tapis bariolés dit de Perse, parapluies que le marchand à l’émerveillement de la foule déploie et retourne dans tous les sens, en virtuose, vieux fers, cannes, gourdins, vestons, outils, boussoles, secrétaire des amants, livres aux recettes guérissant tous les maux, herses, faucilles, harnais, charrues,…



Les heures s’écoulent sur le champ de foire… Les enchères fléchissent peu à peu. Les forains démontent leurs baraquements. Les musiciens à bout de souffle, rangent leurs cuivres. Quand la foire s’éteint, la solitude rentre en possession d’un domaine que les hommes lui ont emprunté l’espace d’un 25 juillet.

Et c’est ainsi, sous le regard indulgent et tolérant de son vénéré pasteur que la vieille Ardenne reprend ses droits. »


TEXTE : Albert Bonjean, l'Ardenne Nostalgique, éd. Ch. Vinche, Verviers 1946.

PHOTOS : Archives du Comité de Saint-Jacques, dons de particuliers. Les photos datent des années 50 - début 60.
1: Sur le parvis de l'ancienne église (démolie en 1961)
2: Bétail
3 : Jeu de hasard
4: La foule
5 : Jeu de hasard


Extension :

1. Dans un article du docteur P.F. LOMRY, on apprend qu'il existe, selon lui, une connexion entre les endroits où furent célébrés les cultes païens et ceux où prirent naissances les foires les plus anciennes. Il écrivait ceci à propos de Saint-Jacques : " Comment expliquer la présence d'une église et d'un champ de foire dans le même endroit désert autrement que par la substitution du culte chrétien à un culte druidique, avec la persistance des échanges commerciaux indispensables aux cérémonies religieuses du paganisme?"

2. Un nom était donné à la foire : "Lu fore a celiches", la foire aux cerises...

3. La foire, telle que présentée en 1946, s'est définitivement éteinte au milieu des années 70. Le champ de foire n'existe plus; un village de vacances y est implanté.

4. La foire a été remise à l'ordre du jour en 2001... Mais ceci est l'objet d'un autre article...

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